Du haut des cimes
1er aout 2008. 5400m. 2h du mat. Nuit execrable. L'altitude ? Non, c'est nos jambes qui fretillent a l'idee de gravir notre plus haut sommet. Nous nous reveillons au camp de base avance du Kang Yatse, petit lit de rocailles sous l'immensite du ciel etoile. Astrid, force-toi a manger ce reste de pates froides trempees dans le lait en guise de petit dej' s'il te plait : on ne monte pas a 6200m le ventre vide ! Nous chaussons les crampons a 15 min de notre camp, pour ne plus les lacher avant le retour.
Si l'ascension du Stok Kangri (6100m) une semaine plus tot nous avait paru particulierement simple (pentes de neige, caillasses, pas de crevasse...), celle du Kang Yatse ne sera pas depourvue de quelques frayeurs pour le novice que je suis. Ma derniere experience montagne, c'est l'aiguille du Tour en 2006...
Ici, le glacier est raide. Il faut dire aussi que la nuit sans lune ne nous aide pas a tracer notre route convenablement. Nous franchissons quelques crevasses, Alexis y met un pied : "Tends la corde, Alex !". On reste calme et on obeit. C'est fou la serenite qu'on peut acquerir en montagne apres quelques mois de trek.
5h. Les premieres lueurs du jour, dans ce ciel sans nuages, nous offrent une vue superbe sur les sommets alentours. Nous nous amusons a deviner le chemin parcouru jusqu'ici, mais la brume obstrue une partie des deux mois de marche qui nous ont mene au Kang Yatse : c'est qu'on en a avales des kilometres depuis Dharamsala !!! La cordee gravit doucement le dome de neige qui mene au sommet. L'arrivee est 100m plus haut, non ? Fausse illusion, 100m plus haut j'ai la meme impression : fichu mirage de l'alpiniste.
Le sommet nous demandera encore quelques souffrances... Sur les pentes tres raides, chaque pas est vital pour la cordee. Un mauvais appui et tout le petit monde se retrouve dans les rochers qu'on distingue, 800m plus bas. Confiance obligatoire entre les compagnons de cordee. Je suis surpris de tenir aussi bien sur mes pointes, et que ces petits bouts de metal s'accrochent si fermement a la glace.
A l'approche de l'antecime, malgre notre acclimatation, on sent que l'oxygene se rarefie ; chaque geste demande un effort a notre corps. Ici, la pression est 55% plus faible qu'au niveau de la mer, c'est autant d'oxygene en moins. Nous atteignons l'antecime du Kang Yatse (6200m) a 7h, sous un soleil radieux. De la, nous voyons l'arete qui mene au vrai sommet, cotee AD (Assez Difficile), mais nous restons demunis face a lui, promettant de revenir mieux equipes dans quelques annees pour y monter. Ce n'est pas avec notre unique corde, nos quelques mousquetons, nos deux broches a glace et nos deux piolets pour quatre qu'on peut se faire 6h d'arete a 6000. On avait choisi de voyager leger (pas plus de 2kg de matos d'alpi par tete), on en subit pour une fois les consequences, non mecontents ceci dit d'avoir soulage nos maigres epaules ce dernier mois.
A la descente, beaucoup plus facile, je m'efforce de garder dans ma petite tete ces formidables instants : le partage de la cordee, la lenteur des pas qui marquent la glace, les paysages sublimes... On n'a pas tous les jours la chance de se faire un 6000. De retour a notre camp de base, on jete un coup d'oeil sur notre ascension : Kang Yatse, on reviendra !
Alex
(A venir un post d'Alexis et Nico d'ici quelques jours...)