La loi de la jungle
Nos premiers jours de marche sur la route de Gangotri ? Un vrai desastre. C'est la mousson. Vous avez entendu parler de deux trekkeurs chantant a tue-tete du Claude Francois sous la pluie ? Et bien je vous l'avoue, c'etait nous. C'est notre seule facon de garder la peche ! En Uttarakhand, l'eau est omnipresente sous toutes ses formes : boue, pluie, torrents, humidite ambiante et sueur de marcheurs. Le sol, incapable d'assimiler ces metres cubes d'eau tombes du ciel, se transforme en veritable bourbier ou pousse une jungle impressionnante. Les forets sont si denses qu'il nous semble impossible de perdre notre chemin, seul espace degage de vegetation. Dans cet ecosysteme, sur le chemin sacre qui relie les sources du Gange, nous croisons quelques compagnons : serpents, singes, araignees enormes, lezards et moustiques demesures... Ce seront les seuls pelerins que nous renconterons !
Pourtant, malgre une meteo et un environnement peu clements, on sent que la chance est avec nous : vous avez deja pris un bain dans une source d'eau chaude apres un marathon sous la pluie et dans la boue ? Instant magique. Il vous est deja arrive de trouver refuge dans une bergerie la ou votre tente patauge dans 5cm de flotte ? Au milieu des montagnes, ou il n'y a pas une ame qui vive, vous trouvez normal de tomber sur un type qui vous aide a traverser le torrent le plus gros que vous ayez jamais franchi ? On appelle ca la providence, et elle nous suit depuis le debut du voyage.
Puis, du jour au lendemain, grand ciel bleu. A 8h du matin, on suffoque deja sous le soleil ecrasant, mais c'est un vrai bonheur de marcher sur un terrain sec. Nous en profitons pour ouvrir un peu plus les yeux et pour echanger quelques mots ou un simple sourire, accompagnes d'un "Namaste !" avec les habitants de l'Uttarakhand. Ici, tout ce qui n'est pas falaise est etage en rizieres parfaitement horizontales. Nous tombons pile au moment de la recolte et il n'est pas rare que nous croisions un paysan courbe sous le poids de sa moisson. Au bercail, les femmes frappent ensuite la plante sechee pour en extraire le riz, et pour finir, les Memes (grands-peres) et Mattadjis (grands-meres) trient chaque grain avec minutie : une veritable entreprise familiale !
La proximite des sources du Gange nous permet de decouvrir egalement un peu mieux la culture hindoue. Des dizaines de temples jonchent notre parcours, gardes le plus souvent par un saddhu qui fume plus de shilam (sorte de pipe remplie de resine de cannabis) qu'il ne mange de riz. Et quand on lui offre des fruits secs ou quelques roupies, il saute sur l'occasion pour nous en proposer. Mais nous, on est en Inde pour prendre un petit bol d'air, par pour y voir des elephants roses !
La bouffee d'oxygene, ca aura ete l'expression de ces quelques jours : on n'hesite pas a se payer de bonnes journees. 45km par-ci, 2000m de denivele par-la... A croire qu'on est presses d'arriver au Nepal. Il faut dire qu'on a du rallonger notre route puisque le dernier col (Kalindi Khal - a 6000m d'altitude quand meme !) est enseveli sous la neige. Avec tout ce qu'il a flotte, on n'a pas de mal a le croire... Il n'empeche, quand on arrive en ville, on n'a qu'une seule hate : c'est quitter la pollution et le bruit et reprendre le chemin des cimes... On ne nous changera pas !